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Mémoires d’antan…

Le Brusquet, mon village au nom fleuri, tu étires ta longue rue, dite « principale » sur un méplat de la route qui mène au col de l’Ourne, passage obligé vers l’Italie, et c’est sans doute pour cette situation que tu as vu le jour. Bien sûr, tu n’es pas inscrit au palmarès des plus beaux villages de France. Bien sûr, tu ne peux rivaliser avec Banon ni même Courbon. Bien sûr, tu ne connais pas l’affluence touristique des juilletistes ou des aoûtiens.

Non, tu es plutôt en dehors de tout ça, modeste et replié sur toi-même, préférant la quiétude paisible des jours simples. Mais à bien y réfléchir, qui pourrait dire tout ce que tu as vu depuis les temps antiques ? D’abord les Bodiontiques*, puis les Ligures et les légions conquérantes de Rome venues trainer leurs sandales sur le chemins pierreux. Tu as entendu les hennissements et ressenti les sabots des nerveux petits chevaux arabes. Mais les barons de Lauzière et ses preux chevaliers te gardaient jalousement. J’aime à croire que , Pierre*, le « messager des étoiles », soit venu « lorgner », du haut de la chapelle castrale*, Mars ou Jupiter. Plus tard, tu as reconnu les guêtres des soldats de l’An II et peut-être aperçu le petit caporal*. Tu as accueilli les marchands en tout genre et les colporteurs aux pieds d’argile, qui par monts et par vaux te reliaient à tes villages voisins escarpés de Draix, d’Archail et d’Esclangon. Mais le joyau de tes souvenirs, cette joie intense que tu gardes encore en toi, enfouie dans chaque pierre, c’était l’arrivée aux premiers jours de l’été, des troupeaux venus de la Crau, qui montaient par les « drailles »*, vers les vertes pâtures de l’Estrop, de Maurin ou du Blayeul. Les sonnailles des béliers, les jappements des chiens et le pas rapide des petits ânes gris à la croix de Saint-Martin. Que faisiez-vous alors Courbon et Banon isolés sur vos pitons rocheux à l’écart de tout ça ?

Ceux-ci sont passés, ceux-là sont restés.

Ceux-là comme Betty, la vieille dame anglaise qui promenait ses pinceaux et son accent très british aux alentours du village et qui peignait à merveille des scènes de la vie pastorale du village. Et surtout Antoine, le pépé venu de son Piémont natal et qui maniait la faux avec grand art. Il savait à merveille taper la lame et l’aiguiser comme un rasoir. Petit homme frêle mais infatigable, pétri de sagesse paysanne. Il commençait souvent ses phrases par « l’ei compris » pour nous raconter, avec beaucoup de philosophie, les choses simples de la vie d’antan. Après le café, il tirait de sa poche un vieil harmonica et les yeux brillants, il jouait ses vieux airs de jeunesse.

Bien sûr, eux aussi sont partis, mais ils nous ont laissé une petite marque, Ô toute petite mais elle est bien là. Le temps a passé, voyageur immobile, et avec lui, son ami fidèle, l’oubli s’est installé. Bien sûr, comme ces vieilles cartes postales jaunes tirées du carton oublié dans le grenier ou comme une ombre qui plane, on se souvient, un peu, si peu quelquefois que l’on ne sait plus dissocier le rêve de la réalité. C’est peut-être ce que l’on nomme nostalgie et c’est peut-être pour cela qu’il m’arrive parfois aux chaudes heures de juillet, de voir dans le lointain, se profiler, fulgurante, l’ombre de « geste auguste du faucheur », le pépé pour sûr qui s’affaire.

Pardonne-moi, Ô Histoire, si j’ai pris quelques libertés avec toi, mais comme dit le poète : « Est-il rien de plus vrai que la vérité ? Oui la Légende, car c’est elle qui donne un sens immortel à l’éphémère vérité » (Nikos Kazantzakis).

Jean-Claude MILLET

* Lexique

Bodiontiques
Peuple gaulois établit dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Pierre, messager des étoiles
Pierre Gassendi, mathématicien, philosophe, théologien et astronome né le 22 janvier 1592 à Champtercier et mort le 24 octobre 1655 à Paris.

Drailles
Petits chemins empruntés par les troupeaux.

Chapelle castrale
Chapelle attenante au château.

Petit caporal
Napoléon Bonaparte.

  Toponymie

La localité du Brusquet apparait pour la première fois en 1050 sous le nom de LE BRUSCO, nom formé de BRUSC (bruyère) et du suffixe désignant une étendue recouverte de bruyères.

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